Michel Audiard à propos de
Tendre Poulet 

En janvier 1978, Michel Audiard écrit un article dans Le Figaro pour
parler de sa grande amie Annie Girardot et de sa collaboration avec Philippe de Broca.

D’une façon générale, les flics ne m’inspirent pas ce que l’on appelle l’amour fou. J’aime assez les femmes par contre. Hé oui. C’est probablement pourquoi, en m’annonçant qu’au milieu d’un moustachu à chaussettes à clous, le commissaire divisionnaire Tanquerelle était une personne du sexe féminin, Philippe de Broca savait très bien ce qu’il faisait. Ajouter à cela que ce commissaire serait incarné par Annie Girardot.

Quel auteur de cinéma – aussi mégalo soit-il – ferait « des façons » lorsqu’il s’agit d’écrire pour une espèce de sacrée bonne femme qui demeure tout naturellement la première depuis une dizaine d’années et encore pour un bout de temps, croyez-moi.

J’ai donc dit « oui » à cette proposition de remariage, un oui d’autant plus enthousiaste que ma dernière collaboration avec de Broca s’intitulait L’Incorrigible et que les choses s’étaient plutôt bien passées, notamment du côté des recettes, mais, je m’empresse d’ajouter : pas uniquement de ce côté-là.

Philippe de Broca est un des rares – peut-être le seul – metteurs en scène français sachant traiter de la comédie en tournant insolemment le dos au théâtre. Il a le constant soucis de la légèreté et le ton d’élégance. Construire une aventure policière avec lui allait d’abord consister à troquer les godillots flicards contre les ballerines, et la matraque contre le fleuret. Je n’avais rien contre.

Cela dit, j’avouerais mon embarras si l’on me demandait de classer Tendre Poulet, poulette en l’occurrence, dans un genre cinématographique défini. Car enfin, en dépit d’une avalanche de meurtres, ce n’est pas un thriller, en dépit d’une cascade de malentendus amoureux, ce n’est pas un vaudeville, non, voyez-vous, j’appellerais plutôt cela une tragicomédie -sentimentalo – policière – à suspense – souriant. C’est peut-être un peu long, mais ça dit bien ce que ça veut dire.
J’explique.

À travers la recherche de l’auteur de crimes sauvages s’inscrivent en filigrane les péripéties amoureuses d’un commissaire de la P.J. Et d’un professeur de la Sorbonne un tantinet contestataire (ce n’est pas l’assassin, sinon je n’en parlerais pas !), la rencontre, en somme, de la carpe et du lapin. Le lapin étant Philippe Noiret.

Girardot-Noiret ! Retrouver le couple qui fit le succès de La Vieille fille ne fera, je pense, de peine à personne. Cette idée fut déterminante en tout cas, dans l’orientation du récit, une sorte de soupape permettant de serrer d’autant plus la trame policière que nous savions pouvoir rebondir vers la fantaisie chaque fois que l’humeur nous en prendrait. Ce genre de ping-pong, ordinairement assez délicat, devient, avec de tels acteurs, un jeu d’enfant. Et puisque nous en sommes aux acteurs, parlons-en : je trouve qu’au travers des vicissitudes que traverse actuellement le cinéma on ne dit pas assez à quel point les comédiens français sont bons. À force de s’extasier (souvent à juste titre) sur les interprètes des films italiens ou américains, n’oublie-t-on pas que les nôtres n’ont rien à leur envier ?… Si, dans notre cinéma le bât blesse quelque part, ce n’est certainement pas de ce côté là. Il est vrai qu’avant eux, cette année, le bonheur d’écrire pour Belmondo, Delon, Girardot, Noiret, je serais mal venu de dire le contraire. Mais, plusieurs de mes aimables confrères n’ont pas été mal partagées non plus, car je persiste à croire que des films aussi différents que Le Crabe-Tambour ou Nous irons tous au Paradis doivent, tout comme Mort d’un Pourri, une grande partie de leur brillance à la classe de leurs interprètes.

Je sais, je sais : il peut paraître outrecuidant de distribuer les bons points lorsqu’on a participé à la fête, mais quand il s’agit de gens d’une certaine qualité, ce n’est plus du tout gênant. Or, Annie Girardot et Philippe Noiret sont précisément de cette qualité-là !

Dont acte.